René a voté rose

 

 

 

         Tout est parti en testicule quand René s’est pointé avec son téchirte marqué « Je suis un con : j’ai voté Hollande ». Pour la première partie on avait déjà des indices, mais c’est la deuxième ligne qui nous a foutu la mâchoire dans le bréchet. Personne y pouvait penser que René, l’as du pastis sans eau,  le prince des parcs (il est jardinier municipal),  le bourreau des sœurs (deux de ses fiancées sont devenues nonnes, on sait pas expliquer pourquoi), René quoi, notre René, eh bien, il aurait voté Hollande.

         Son dabe était pas corrézien, aucun papy avait fait Solférino même chez les zouaves, sa mère avait voté Pétain en 40, comme tout le monde, et deGaulle en 44-45 comme beaucoup. Même qu’en 58 elle avait recommencé, probablement qu’elle avait oublié un bulletin du coup d’avant dans sa blouse de femme au double-foyer. Car elle avait ses faiblesses pour un voisin. Aussi. En sus du père à René, qu’était loin d’être con sans être une flèche pour autant.

         René ! Notre René, avait voté pour le baudrucheux qui gonfle à vue d’œil, avec la teigneuse qui lui souffle dans le Sevylor ! On n’est pas du type vulgaire mais merde quoi, il y a quelque chose de pourri au royaume de Dannemarie.

         Le caramel rose avait fait douze voix chez nous, trois de moins qu’à Gommersdorf,  chez ceux qu’on appelle les rouges. Et, dans ces douze roses, il y avait une épine qui s’appelait René.  Qui c’est qui aurait cru ça ? À part mademoiselle Schtrimmschwihr, qui croit que le socialisme est la forme complète de la religion, même que  Jo Wimmerspachgrutenblieb (qu’on appelle JoWi, sinon les gens se barrent avant la fin) il dit qu’elle paye le denier du cul pour que le culbuto et sa grognasse ils puissent rapprocher leurs muqueuses.  André il dit toujours, quand la mirabelle a fini d’infuser dans son thermos ventral, qu’il se dévouera un soir pour accrocher ses boules au sapin de la Schtrimmschwihr, histoire qu’elle ait la monnaie de ses pièces. Mais c’est un gros vantard.

Bref, on est resté sur le cul, qu’on a bien en place à la Winstub, sur des coussins qu’ont que le vichy sur les os à force qu’on les moule, de savoir que René avait voté pour les soixante foutaises de la guimauve à bajoues. Putain, René, pas toi !

À la fin du repas, tandis que Frédéric Hendell allait se soulager sous les mélèzes (ah ! la vessie de Hendell !) je suis resté seul avec René. Je tournais mes doigts dans mes paumes, comme autant de saucisses dans la moutarde. Il fallait que je lui dise.

« René, pour moi t’es pas un con. »

« J’te remercie, Dodele, mais tu me fais du tort »

« Pourquoi, komble ? »

« Parce que, dummkopf, si je suis pas un con, je suis un salaud, un meschthufe. »

« Ah, non, René, t’es tout sauf un salaud. Même à jeun ! »

« Et pourtant si, géngel, réfléchis : si j’ai voté pour ce pantin parce que j’ai cru à ses salades, je suis un salaud. Alors que si je l’ai fait, sans faire gaffe, dodele, je suis seulement un con. Et je préfère. »

Il est fort, René,  on n’a pas l’esprit assez musclé pour répondre, ni la moelle assez dodue. Je pouvais pas le laisser croire que c’est un salaud. Entre amis ça se peut pas. Même après un jeroboam d’Edelzwicker. Chacun.

On  était là, comme deux buses, les yeux dans le bock vide, la lippe humide, l’œil glauque. Hendell est revenu de l’arrosage rituel, il  nous a trouvés comme ça, hagards de l’est,  les mots bloqués en dedans, émiettés comme deux bretzel.

« Oh, les khombels, ça va pas ? On se remet une Mützig dans le collecteur ? »

« Laisse Fred, ça va passer. »

« Non, a dit René, ça passe pas. Quand on est con c’est durable »

« Mais t’es pas si con ! » que Fred a protesté, c’est un parpaillot, il faut qu’il proteste, c’est plus fort que lui.

« Arrête, que j’ai dit, René est un con, un point c’est marre. »

« Tu déconnes, freschele, t’as pas le droit d’insulter un homme assis ! »

« Il dit juste, a ponctué René, d’une voix plate comme un spaetzle trop cuit, je suis un con, d’ailleurs c’est écrit là ». Il montrait sa poitrine d’un doigt mollasson.

Fred croit plus ce qu’il voit que ce qu’il entend, c’est à cause de ses acouphènes. Il a rien dit, s’est assis, tristement. Ça fait mal d’apprendre qu’on a un ami con. Un ami de la communale, du certif, de régiment, un voisin de bock, le parrain qu’on aurait offert à ses enfants si on en avait confectionné, un soir de serments et d’oubli, un jour de solitude émotive, un après-midi de soleil qui échauffe les roudoudous et déplie la guimauve. Un ami con, ça reste un ami, mais ça plombe. On avait jamais cru qu’on était des génies, des majors dignes d’autre chose que des majorettes qui exhibent leurs petits salés sous prétexte de lancer le bâton par-dessus les haies. Mais des gars assez myopes pour supporter un con, dans la durée, sobres ou non, sans s’en rendre compte, ça faisait mal aux synapses.

On a juré à René qu’on allait le soigner, lui faire voir les meilleurs spécialistes, mettre un cierge à Saint Glé,  faire un pèlerinage à l’ENA pour demander des grâces.

Mais il a rien voulu savoir. À la fin, comme on insistait avec des légèretés de véhicule chenillé, et après un schnaps velu élevé en fute de chêne, René a simplement demandé :

« Pour les municipales, les mecs, me laissez pas seul dans l’urinoir, je pourrais me gourer ! »

On a promis d’aller pisser un bulletin avec lui.

 

 

Pas de commentaire sur "René a voté rose"

    Poster un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.