À l’inconnue de la Basilique

On ne sait rien de toi à l’heure où j’écris ceci, pas plus moi que les autres.

Tu es morte ce matin.

C’est tout.

Que faisais-tu là?

Peut-être priais-tu, enlevais-tu la cire qui avait coulé des cierges d’hier, arrangeais-tu les fleurs, balayais-tu les pétales tombés.

Tu n’étais pas là pour toi.

Mais pour rendre service, hommage.

Et tu as rendu témoignage.

Bientôt je saurai ton prénom: Victorine? Paule? Rosa?

On verra ton visage, on saura ta vie. Si c’est un chat qui ne te verra pas rentrer ce soir, un fils, une vieille maman.

On oubliera ton nom bien vite, comme celui des autres victimes.

Il n’y aura pas de “Je suis Victorine”, mais une courte marche blanche, de pauvres fleurs jetées devant la Basilique, des bougies, un couvre-feu, un confinement.

La peur reprendra ses droits, succédant, comme chaque fois à la stupeur, à la colère, aux belles paroles, aux promesses.

Et tu seras encore morte, toujours morte.

Pour rien, comme cela, parce qu’un excité aura, ce matin, poussé la porte de l’église où tu te rendais utile, sorti un couteau et tué ceux qui s’activaient là. Le sacristain, la jeune femme qui est venue mourir dehors avec un dernier mot pour les siens.

Quel aura été ton dernier mot?

Nul ne saura.

On saura ta vie, mais pas ta mort.

Mais Dieu a entendu ton “me voici”.

Tu es morte pour nous, mais vivante pour lui et pour toujours.

Bien sûr tu n’iras plus sur le cours Saleya, tâter poivrons et picholines, ni prendre les ultimes rayons du soleil sur la place Masséna. Tes voisins ne verront plus ta silhouette familière, ton sourire paisible. Le souvenir qu’ils ont de toi sera recouvert par la photo que les télévisions vont diffuser et qui deviendra le tien pour longtemps.

Tu as rejoint la longue procession de ceux qui sont tombés sous l’arme d’un exalté, encouragé par certains, excusé par d’autres, présenté comme un déséquilibré, un être fragile, un pauvre, un exclu que sais-je…

Il se trouvera à coup sûr de tristes sires pour absoudre, et des chrétiens pour pardonner, ce n’est pas du même acabit. 

Chaque fois que je verrai, dans la rue, à l’église, chez le coiffeur ou le pharmacien la silhouette d’une femme de ton âge, je penserai à toi, Victorine ou quel que soit ton nom.

Tu n’auras pas la cour des Invalides, l’ordre du Mérite, la sonnerie aux morts. Tu rejoindras l’humble tombeau où reposent les tiens. Je ne saurai pas où il se trouve.

Mais ta tombe est dans mon coeur.

Je crois bien que je t’aime, Victorine.

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